Le Gradec





Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n’est pas possible… Antonin Artaud




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Witold Gombrowicz

Août 1984 : Yvonne, Princesse de Bourgogne
Avant propos :
Après le succès de Liliom, le groupe théâtral du Lycée poursuivit ses efforts en direction de Shakespeare. J’étais très attiré par le "Roméo et Juliette" mais après le départ de mes élèves de terminale, je ne réussis pas à reconstituer une "troupe" telle que nous l’avions vécue ces deux dernières années. L’investissement pour un tel travail et mes exigences se heurtèrent à une motivation moins profonde des nouveaux arrivants. L’atelier fonctionna toute l’année et nous présentâmes quelques extraits de notre travail, mais la "grande époque" semblait révolue.
C’est alors que je réfléchis à l’organisation d’un grand stage d’été, à la manière de Valréas, qui aurait pu me permettre de renouer des contacts avec d’anciens élèves.
Parallèlement, Catherine poursuivait son travail de danse et d’expression corporelle dans le cadre du Foyer de Monneaux. Il devenait indispensable de créer notre propre structure, non seulement pour finaliser toutes ces années de recherche, mais afin de conquérir l’indépendance nécessaire à une véritable création.
Ainsi naquit le "Groupe de Recherche en Art Dramatique et Expression Corporelle" dont la première production fut "Yvonne, Princesse de Bourgogne" de Witold Gombrowicz.


L'auteur :
Issu d'une famille de la noblesse terrienne de la région de Varsovie, il étudie le droit à l'Université de Varsovie, puis la philosophie et l'économie à l'Institut des hautes études internationales de Paris. La publication des Mémoires du temps de l'Immaturité en 1933 puis de Ferdydurke en 1937 l'impose comme l'enfant terrible de la littérature moderne polonaise. Il se lie avec les écrivains d'avant-garde Bruno Schulz et Stanislas Witkiewicz.
Arrivé en Argentine pour un court séjour en 1939, l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie le dissuade de rentrer en Europe. Il finit par rester vingt-cinq ans en Argentine. Sa vie au milieu du peuple argentin ainsi que de l'intelligentsia de l'émigration polonaise est racontée dans son Journal, publié à Paris dans la revue polonaise Kultura ; on en trouve également des échos romancés dans son Trans-Atlantique. L'œuvre de Gombrowicz, interdite en Pologne par les nazis puis par les communistes, tomba dans un relatif oubli jusqu'en 1957 où la censure fut levée provisoirement.
Gombrowicz revient en Europe en 1963, à Berlin d'abord grâce à une bourse de la fondation Ford. Son œuvre connaît alors un succès croissant en France et en Allemagne. En mai 1964, il s'installe en France à Royaumont, près de Paris. Il y emploie comme secrétaire Rita Labrosse, une canadienne de Montréal qui devient sa compagne, puis sa femme . En septembre 1964, il déménage définitivement à Vence (près de Nice), petite ville où résident de nombreux artistes et écrivains. En 1967, Cosmos reçoit le Prix International de Littérature. Gombrowicz épouse Rita Labrosse le 28 décembre 1968 (six mois avant sa mort). Il décède à Vence en 1969 d'insuffisance respiratoire, à la suite d'une longue maladie.


Le sujet :
Yvonne, princesse de Bourgogne – pièce de 1935 – est un conte de fées à l’envers ; contrairement à ce qui se passe dans les récits merveilleux où le baiser du prince brise l’enchantement et transforme le laideron en belle princesse, Yvonne reste triste et maussade.
Le fils du roi a rencontré celle qui de toute éternité lui était destinée. Non parce qu’elle complète sa propre beauté, mais parce qu’elle en est l’antithèse vivante. Yvonne est dépourvue de toute grâce. Elle est dénuée d’esprit, apeurée et muette. Elle n’a même pas l’originalité d’une tare physique intéressante.
C’est le repoussoir parfait dans la mesure où elle révèle à chacun non ce qu’il croit être, mais ce qu’il est en vérité ; en la regardant, chacun rencontre sa propre image. Non celle que renverrait un miroir fidèle – celle au contraire que dénude le miroir magique qui ne ment jamais : chacun s’aperçoit qu’il est le roi nu ; le laborieux édifice des conventions s’effrite. Yvonne est dominée par la peur. Car ce qu’elle représente – le dévoilement de la vérité chez autrui – est insoutenable pour tout le monde. Découvrir ce qu’on est est insupportable. Chacun a la révélation de sa propre grimace. La grimace du roi répond à la grimace de la reine. Le secret que tout le monde cache est percé à jour : derrière le masque, il n’y a rien. L’enveloppe est vide. Vide le vêtement. La cour royale est une cour fantôme. Le roi, la reine et les courtisans ne sont qu’apparences. Tous, se mirant dans la glace tendue par Yvonne, rencontrent le vide – comme les vampires au bal chez Polanski n’ont pas de reflet au miroir.
Rosine Georgin
Gombrowicz, Cahiers Cistre, l’Âge d’Homme

Point de vue :
C'est en 1970, au cours d'un stage de théâtre que je découvris cette pièce. Nous avions travaillé la scène finale, celle de l'étranglement d'Yvonne par une arête de poisson.
Dans les années 80, je commençai à prendre des notes et à rédiger un avant-projet sur un carnet que je gardais toujours sur moi. Deux idées se firent jour rapidement : faire raconter l'histoire par des internés psychiatriques (l'influence de Peter Brook ?) et inverser les valeurs proposées par Gombrowicz. Il me semblait que le plus important dans cette pièce n'était pas la laideur d'Yvonne mais simplement la différence qui existait entre elle et le reste de la cour. Ceux qui se croyaient "beaux" renvoyaient, dans le miroir de la société, un reflet de cynisme et de méchanceté. Quant à Yvonne, il ne lui serait pas possible de vivre dans l'intolérence.




 


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Extraits

Acte 1 Les jeunes gens
Acte 2 L'amour
 

Entre Isabelle.
Le Prince Philippe : Bonsoir !
Cyprien : Mes hommages !
Cyrille : Mes respects !
Isabelle : Bonsoir ! A quoi rêve Son Altesse dans ce coin perdu ?
Le Prince Philippe : Je joue mon rôle. Chacun le sien : mon père, c'est d'affermir l'âme de ses sujets. Moi, de séduire le coeur des sujettes. Et vous, pourquoi n'êtes-vous pas dans le cortège de la Reine ?
Isabelle : Je me suis mise en retard. J'y cours. Je me promenais.
Le Prince Philippe : Vraiment, vous y courez ? Comment ça ?
Isabelle : Je vous trouve songeur, Monseigneur. D'où vient cette mélancolie dans votre voix? Ne sentez-vous pas le bonheur de vivre ? Moi, je le sens, je le sens si vivement...
Le Prince Philippe : Moi aussi, et c'est pourquoi...
Tous : C'est pourquoi ?
Le Prince Philippe : Hmmmm... (il les observe).
Tous : C'est pourquoi quoi ?
Le Prince Philippe : Rien.
Isabelle : Rien ? Votre Altesse ne serait pas souffrante ?
Cyrille : Un refroidissement ?
Cyprien : Une migraine ?
Le Prince Philippe : Non, au contraire. Il y a quelque chose qui me travaille, me tenaille... Ca bout là-dedans !
Cyprien : (se retournant) Voilà une blonde... pas mal... pas mal du tout...
Le Prince Philippe : Une blonde ? Blonde, brune ou rousse... quelle importance ? (il regarde autour de lui, déprimé) Des arbres, et encore des arbres... Si seulement il arrivait quelque chose !
Cyrille : En voilà une autre.
Cyprien : Escortée de ses tantes !

 
 

Le Prince Philippe : Elle..., [amoureuse !] Au lieu de me haïr ! Je la tourmente, je la martyrise, je l'humilie, et... elle tombe amoureuse ! Et voilà qu'elle m'aime ! Parce que je ne peux pas la supporter, précisément à cause de cela. La situation devient sérieuse. (Entre Valentin) Sors d'ici ! (Au Chambellan) Que faire à présent ?
Le Chambellan : Monseigneur, il faut appliquer à cette situation votre juvénile irresponsabilité.
Le Prince Philippe : (à Yvonne) Non. Dis-moi que non, que tu ne m'aimes pas. (Elle se tait) Si elle m'aime, alors moi... je suis aimé d'elle. Et si je suis aimé d'elle, alors... je suis son bien aimé. Je suis en elle. Elle m'a en elle. Comment la mépriser, si elle m'aime ? Je ne peux pas être méprisant ici, si je suis bien-aimé là-bas ! Et moi qui croyais être ici tout ce temps-là, moi-même, ici, en moi-même... et puis clac ! elle m'a attrapé... et je me trouve en elle comme dans un piège ! (A Yvonne) Si je suis ton bien-aimé, je ne pourrais pas ne pas t'aimer. Il faudra que je t'aime... Je t'aimerai...
Cyrille : Qu'est-ce que tu comptes faire ?
Le Prince Philippe : L'aimer.
Cyrille : Entreprise désespérée !... Tu n'y arriveras pas.
Le Prince Philippe : Yvonne, mets ton chapeau.
Cyrille et le Chambellan : Mais où allez-vous ? Où ?
Le Prince Philippe : Nous promener. A deux. En tête à tête. On va essayer d'être amoureux.
Ils sortent.

 

Acte3 Les salutations
Acte 4 L'arête
 

Le Prince salue
La Reine : Pourquoi me salues-tu ?
Le Prince Phliippe : (confidentiellement) Parce que moi-même je suis un peu idiot à son égard...
La Reine : Toi, idiot ?
Le Prince Phliippe : Hé ! Comment dire autrement ? Je ne l'aime pas. Ca ne m'étonne pas que vous vous comportiez d'une façon idiote et absurde avec elle... moi, j'en fais autant !
Le Roi : Surveille un peu tes paroles, Philippe. Tu te permets des... (Le Prince le salue) Pourquoi me salues-tu, âne bâté ? Qu'est-ce qui te prend ?
Le Prince Phliippe : (confidentiellement) Avec elle, on peut tout se permettre.
Le Roi : Quoi ? Quoi tout ? Je ne me permets rien du tout. Que veux-tu de moi ? Chambellan ! (Il recule) Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?...
La Reine : Philippe, qu'as-tu à saluer ainsi ? Cesse de saluer !
Le Roi : (à part) Saloperie de saloperie !...
Le Chambellan : Si l'on peut tout se permettre avec elle, il ne faudrait pas en inférer que Votre Altesse puisse se permettre avec nous... (Le Prince le salue. Il fait un saut en arrière.) Pas moi, pas moi ! Pourquoi moi ? Je n'ai rien à faire là-dedans ! Ne m'approchez pas !
Le Prince Phliippe : (confidentiellement) Elle, n'importe qui peut l'approcher... l'attraper par les cheveux, par l'oreille ! La prendre...
Le Roi : (riant soudain) Ah, ah, ah ! (Il se tait, honteux) Hmm, je veux dire, hmm...
Le Chambellan : Si votre Altesse me touche, je...
Le Prince Phliippe : Tout le monde peut la toucher ! Faites d'elle ce qui vous plaira. C'est comme ça qu'elle est... tout... on peut tout se permettre avec elle. Tout. Timide. Ne protestera pas. Ingrate. moche. Tout ce qui vous chante. Vous pouvez être idiot, grossier, borné, méchant, cynique... comme il vous plaira ! (Il salue le Chambellan) A votre guise ! A votre bon plaisir !


 
 

Yvonne se met à manger.
Le Roi : (lugubre, à Yvonne) Il faut faire attention quand on mange, on peut s'étrangler ! Un accident est si vite arrivé... Une perche, ça n'a l'air de rien, et au fond...
Le Chambellan : Sa majesté a daigné vous avertir qu'il faut faire attention quand on mange, car on peut s'étrangler. (Sévèrement) C'est dangereux ! C'est un poisson difficile !
Le Roi : (menaçant) Je dis que c'est dangereux !
Les Invités : (étonnés) Ah !
(Ils cessent de manger. Silence)
La Reine : (distinguée) Well, Yvonne, don't you eat, my dear ?
Le Chambellan : (mettant son monocle) Madame dédaigne les perches de sa majesté ?
Le Roi : (menaçant) Est-ce possible ?
(Yvonne se met à manger seule. Le Roi désigne Yvonne d'un doigt menaçant.)
Elle s'est étranglée ! Elle s'est étranglée ! Une arête ! Une arête dans son gosier ! Une arête, dis-je ! Na !
(Yvonne s'étrangle)
La Reine : (terrifiée) Au secours !
Les Invités : La malheureuse ! Quel accident affreux ! Une catastrophe ! Elle est tmorte !
Retirons-nous discrètement !
(Ils se retirent, découvrant le cadavre.)
Le Prince Phliippe : Elle est morte ?
Le Chambellan : Elle s'est étranglée avec une arête.
Le Prince Phliippe : Ah ! une arête. Oui, je crois qu'elle est bien morte.

 



2 rue Brûlée, Monneaux
02400 Essômes sur Marne
Messagerie : jean-pierregras@neuf.fr
Téléphone : 03 23 83 29 45

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