|
Michel Deutsch |
1981-1982
: Dimanche |
Avant-propos
:
Mon éviction
du poste de trésorier de la MJC, en 1979, eût
comme conséquence indirecte de me permettre de reconsidérer
mon travail d'animateur théâtral. C'est à
cette occasion que j'entreprends d' animer des groupes scolaires
ce qui me conduira à réaliser quelques mises
en scène au Collège de Condé en Brie
et plus tard au Foyer de Monneaux.
L'arrivée de Catherine Gras-Henssien comme professeur
d'EPS au Lycée Jean La Fontaine à Château-Thierry,
sera l'occasion pour quelques élèves de son
groupe "Danse" d'assister à une de ces représentations.
C'est à leur demande que je prendrai la décision
d'animer un atelier "Art Dramatique" au Lycée.
Commence
alors une aventure de quatre années, qui, bien que
stressantes, me procureront des joies ineffables.
Mon premier
soucis fût de trouver un texte qui puisse motiver des
élèves de seize-dix-huit ans, en majorité,
des filles. Je
me souvins alors d'une suggestion faite par Jean-Pierre Ryngaert
quelques années auparavant. Ainsi commença l'aventure
de "Dimanche".
|
La
pièce :
"Dimanche",
un roman-photo ? Un feuilleton de télé ? Une adolescente
s'est trouvée mal à en mourir lors d'une fête
populaire, dans une petite ville de l'Est de la France. A classer
dans quelle rubrique? Une jeune fille s'est engagée dans
un corps de majorettes. Ses mobiles ? La passion ? La pauvreté
? L'exubérance ? Le désir de se perdre ? de ne
plus avoir de désirs ? Suis-je la plus belle ? Suis-je
la seule ? A peine quelques mots. Une tragédie qui s'énonce
comme une rédaction. |
L'auteur
:
Michel Deutsch est né en 1948 à Strasbourg.
Il a fait des études d'Histoire de l'Art et de sociologie.
Il écrit en 1973 sa première oeuvre, "Le
Château dans la tête" (première version
de "Ruines"), puis l'entraînement du Champion,
et, en 1974, outre "Dimanche" (écrite avec
Dominique Muller) "La Bonne Vie" et "Un Peuple
comme ça". Ces oeuvres ont en commun de faire
se confronter l'héritage socio-culturel à la
réalité quotidienne en introduisant, dans un
langage direct et dense renvoyant constamment à des
images scéniques, un personnage capital mais méconnu,
le temps. |
|
Salle
de sport. Les vestiaires
Ginette et Rose |
Salle
de sport. Les vestiaires
Liliane et Ginette |
La
kermesse
Marie, Françoise, Rose, Ginette, deux
gars |
Rose
: Tu veux voir ls nouveaux collants que j'ai ramené
de la ville ?
Ginette : Tu y vas deux fois par semaine maintenant.
Rose : Il y a des semaines où j'y vais
trois fois... Comment tu les trouves ?
Ginette : La couleur est belle.
Rose : C'est italien.
Ginette : Il y a marqué "made in
France".
Rose : Oui, mais la couleur est italienne...
Tu n'as jamais vu cette publicité au cinéma...
Il y a des filles qui dansent, qui courent, qui sautent
pour faire voir leurs collants... Il y en a de toutes
les couleurs...
Ginette : Je me sens fatiguée... Je ne
sais pas si je vais arriver à tenir jusqu'à
dimanche prochain...
Rose : Tes jambes, elles sont aussi bellesque
celles des filles qui présentent les collants...
et toi, tu es plus souple... Mais si tu es fatiguée,
il vaut mieux que tu ne t'entraînes pas un jour...
Repose-toi demain...
Ginette : C'est peut-être l'énervement...
parce qu'il ne reste plus beaucoup de temps...
Rose : Je t'ai acheté une paire de collants...
Ginette : Pour moi ?
Rose : ça te fait plaisir ?
Ginette : Si ça me fait plaisir ?
(Ginette se jette au cou de Rose. Les deux jeunes filles
s'embrassent joyeusement). |
|
Liliane
: Tout à l'heure, j'ai vu quelqu'un qui errait
autour du gymnase et ensuite j'ai vu des yeux qui nous
observaient par le vasistas. C'était un gars.
Tu te rends compte ! Il a dû grimper tout là-haut
et en pleine nuit.
Ginette : Un gars ?
Liliane : Il nous observait pendant la répétition
du défilé... Puis il s'est aperçu
que je le voyais et a disparu. Une vrai apparition.
Tu y crois, toi, aux fantômes qui ont la tête
de beaux jeunes gens.
Ginette : Et tu n'as rien dis !
Liliane : Non .
Ginette : Mais rends-toi compte ! Ce mec nous
a épiées depuis le début peut-être
!
Liliane : Qu'est-ce que ça peut faire.
Moi, j'aime quand on me regarde.
Ginette : Il a pu détailler ton corps,
l'identifier.
Liliane : Je pense bien et j'aime quand un homme
me regarde.
Ginette : Pourquoi n'as-tu rien dit ?
Liliane : Qu'est-ce que ça peut faire.
Tu crois que c'était un vicieux ou un étrangleur
de jeunes filles? (Elle rit.)
Ginette : Je n'aurais jamais penser ça
de toi !
Liliane : Tu n'as pas besoin de te mettre dans
tous tes états à cause de ça.
Ginette : Si tu pensais moins aux hommes...
Liliane : Tu n'es qu'une gamine ! (Pause.) |
|
Marie
et Françoise avec les beaux gars.
Marie : Et on ne l'a plus jamais revu...
Parce qu'il a sombré la nuit. Je m'en souviens
très bien.
Françoise : Mais je suis gaie et tes histoire
sm'ennuient !... Allons danser !
Marie : Tiens, regarde Ginette...
Françoise : Je l'ai aperçue tout
à l'heure avec son père et sa mère...
On aurait cru qu'elle allait à un enterrement.
Marie : Qu'est-ce qu'elle a ?
Rose, serrant Ginette dans ses bras
: Vite... Vite! Appelez à l'aide. Il faut un
médecin !
Un gars : Il y a trop de monde, trop de voitures
sur la route. Il faut des heures pour atteindre la ville...
Françoise : Qu'est-ce qu'elle a ?
Rose : Faites vite, je vous en supplie !
Ginette : Je ne suis pas sûre de vous avoir
aimées...
Françoise : Oh ! Ginette... Ginette !
Un gars : Venez danser !... Vous verrez, tout
iras mieux.
Un homme : Il fut un temps où les orchestres
ne jouaient pas n'importe quoi. Mais vous n'avez pas
connu les grèves de 68.
Ginette : Je ne savais pas que la vie pouvait
s'éteindre, sans maladie, sans poison... simplement,
je m'éteins, mais non... simplement l'esclaffement
de mon intimité... elle s'en va et je suis si
heureuse... L'herbe de l'herbe avec les oiseaux et les
autres animaux du soir et ma vie emportée descend
le fleuve... |
|
|
|